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A la folire !
25 février 2021

Philippe Delerm content et même pas énervant

« Je crois que ça vous fait du bien de savoir qu’on peut vivre comme ça », qu’il a dit en page 22 de son Journal d’un homme heureux. Et ben ma foi c’est pas faux !

« Comme ça », c’est-à-dire en prenant le temps de vivre, en arrêtant de courir après pour le regarder en face et jouer avec lui… c’est-à-dire ce qu’on a dû faire – contraints ou non – il y a presque un an pendant le premier confinement, puis ce qu’on a pensé devoir refaire il y a quelques semaines, puis plus, puis peut-être encore…

Et bien Philippe Delerm, ça, il savait faire il y a 30 ans déjà… Son journal écrit en 1989 (mais publié en 2016), alors qu’il était âgé de 37 ans, l’érige enfin au rang de visionnaire qu’il mérite !

philippe-delermGenèse d’un choix stratégique

Samedi dernier, au moment fatidique de choisir ma nouvelle lecture et après les quelques tergiversations habituelles, je me suis saisie (faut-il vraiment accorder ce participe passé ?) du journal du monsieur qui m’attendait depuis quelque temps…

J’avoue, je me suis laissé (celui-là non, je pense) influencer par l’actualité chaude bouillante de l’homme à la chevelure blanche comme neige, du fait de la sortie de son nouveau livre, La vie en relief.

Le jeudi précédent, j’avais écouté en podcast ses échanges avec the famous Augustin Trapenard sur France inter, et je l’avais trouvé plutôt sympa… j’avais été étonnée de son débit de paroles rapide, qui lui donnait un air un peu stressé et simple à la fois. Alors voilà, je vis le journal, je le prena, je le lisa et ne fus pas déçue…

Au contraire, je dois reconnaître que cette lecture du week-end m’a fait (pas d’accord ici !) entrer dans les vacances avec un brin de sérénité.

 

philippe-delerm-2

D’horripilation point n’en fut !

J’avoue que souvent, Philippe Delerm m’a agacée (je sais, pardon). Pourtant on y retrouve ce que j’adore chez son fils : le souci du détail qu’on met en valeur et qui devient poétique et fait que la vie est plus belle (faudrait-il aller jusqu’à dire que la poésie est essentielle à nos petites existences ? Allons, tout de même…). C’est pour cette raison que je reviens souvent malgré tout vers le papa de l’un de mes artistes favoris. Mais dans les quelques livres que j’ai lus de lui, j’ai souvent senti se pointer un petit soupçon d’exaspération. Ben oui, je trouvais qu’il faisait son prof de français qui s’écoute parler en employant des mots compliqués juste histoire de… de montrer qu’on en connaît des choses.

Mais cette fois, pas de vilains mots... est-ce parce que c’est un journal et qu’il n’y avait donc pas de vocation à se la ramener ? En tout cas, j’ai plié le coin de nombreuses pages – signe que chacune renferme un truc avec lequel je suis méga d’accord.

Et je me suis totalement réconciliée avec lui quand le professeur Delerm a avoué faire des fautes d’orthographes, surtout depuis qu’il corrige des copies. Un grand sentiment de fraternité a alors fait fuir mon vieux complexe d’infériorité face aux grands mots, devant ce prof avec des failles… qui peut-être, lui aussi, s’est fait des nœuds au cerveau pour accorder les participes passés avec des verbes pronominaux, nourrissant par la même occasion son syndrome de l’imposture.

 

Les Contemplations, en plus digeste

Dans ce journal, il ne se passe pas grand-chose. Dit comme ça ça a l’air chiant, mais en fait pas du tout ! Pendant un peu plus d’un an, Philippe Delerm écrit, souvent derrière sa porte-fenêtre, face à la nuit de son jardin, et regarde passer le temps... Le gel ou la rosée sur les brins d’herbe, les fleurs qui poussent puis fanent… Il parle de sa vie tranquille et banale, de ses voisins, de sa femme, de son fils Vincent qui zone et fait souvent des rédactions, de l’écriture de son roman en cours… Il contemple le monde avec gratitude, mais sans arrogance ni mièvrerie. Le regard un peu enfantin qu’il pose sur les choses le rend finalement attachant. Et puis il rêvasse – il « traîne », comme dirait ma mère… et même que d’après lui, c’est bien de traîner, et que c’est même pas grave, même si on a pas ramassé les poubelles !

Il élucide de plus une question que je me suis souvent posée, face au fait que de nombreux écrivains sont aussi profs : comment font-ils pour trouver le temps d’écrire (non parce que depuis que j’en suis, le mythe du prof glandu auquel je croyais ferme a volé en éclats à mes yeux) ? Réponse : il est à temps partiel et n’enseigne que 12 heures par semaine.

Bah voilà, la réduction du temps de travail, il a pas attendu qu’elle tombe du ciel, il l’a inventée. Et il va jusqu’à dire cette phrase qui ferait avaler son rasoir à l’un de nos anciens présidents : « Je suis riche, incommensurablement riche de ce qui manque à presque tout le monde : le temps ». Travailler moins pour gagner plus… et dire que 30 ans plus tard, on applique moins que jamais cette philosophie pleine de sagesse. Il y a une place à prendre dans quelques mois… si Monsieur Delerm pouvait y songer !

 

De la conjugaison du présent…

Ce que nous enseigne le professeur écrivain, ce n’est ni plus ni moins que « le pouvoir du moment présent ». On s’attable volontiers avec lui, derrière la vitre, et on « cueille le jour » en écoutant le silence, à l’écart de la course folle du monde - un peu comme dans cette chanson de Dominique A que j’adore : « J’aimerais voir le jour tomber », ou cette chanson du fiston : « A présent ».

Je milite donc pour réhabiliter la famille Delerm auprès de ses détracteurs : alors qu’on dit le père et le fils tournés vers le passé, l’un comme l’autre ne font que savourer le présent. Et puis d’ailleurs, comme m’a dit l’un de mes élèves dernièrement pendant un cours sur la conjugaison du présent de l’indicatif, me laissant subjuguée par un tel éclair de génie : « Mais madame, le présent ça existe pas, parce que dès qu’on l’a écrit, bah c’est déjà fini ». Ben c’est pas faux non plus.

Bref, si un petit confinement se profile, au lieu de gueuler, prenez le temps de voir le jour tomber vous aussi… et peut-être deviendrez-vous un homme ou une femme heureux/se.

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