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A la folire !
25 avril 2021

Benjamin Trotter, looser de mon coeur !

jonathan-coe_22 avril 2021 : après un cuisant échec auprès de mon institut d’esthétique qui devait me soulager d’une pilosité excessive à l’entrée dans le confinement n°3, je rentabilise mon déplacement à Nantes dans ma librairie favorite. J’y aperçois d’ailleurs une autre poilue refoulée elle aussi de chez l’esthéticienne, hasard qui augmente mon sentiment de sororité à son égard.

Sur le présentoir, à côté de la caisse, je vois un Jonathan Coe intitulé Le cœur de l’Angleterre. Comme j’aime bien cet auteur, je me saisis d’un exemplaire et parcours les premières lignes de la 4e de couverture, ignorant que je suis sur le point de vivre un instant jubilatoire. « La famille Trotter reprend du service »... ces quelques mots me prennent au cœur : en d’autres termes, me dis-je, Benjamin is back, et je ne savais même pas qu’un 3e tome narrant sa grise existence avait vu le jour ! Je pousse un petit cri aigu, mais ce cri étant intérieur et le masque dissimulant ma face de gamine surexcitée, je me fonds parfaitement dans le décor sans faire de vague.

 

La saga des Trotter

J’avais de loin eu écho de ce bouquin en cherchant des infos sur Jonathan Coe, après avoir lu La maison du sommeil que j’avais adoré. L’idée d’avoir non pas un bouquin, mais deux, avec une 1ère partie sur une bande de potes lycéens, puis une 2e sur les mêmes, à la quarantaine, me bottait grave. Je me disais bien qu’il y aurait une histoire de loose là-dessous. J’avais pu dégotter ces 2 gros pavés bleus pour une bouchée de pain, lors d’une opération de déstockage de la médiathèque de Couëron.

Même si l’auteur est britannique, rien à voir avec la saga des Crawley de Downtown Abbey. Les Trotter sont une famille de prolo vivant à Birmingham. Le père travaille à l’usine automobile de Longbridge, entouré de sa femme et de ses trois enfants : Loïs, l’aînée plutôt sympa qui n’aura pas de bol dans sa jeunesse, Benjamin de mon cœur, lycéen dans le 1er tome, et son petit con de frère, Paul.

En 3 tomes, Jonathan Coe déroule la vie de ce personnage, mais aussi de ses potes et du microcosme qui l’entoure : chaque tome fait ses 500 pages qui s’avalent aisément, et pourtant on n’est pas sur une intrigue de ouf à la Joël Dicker. Jonathan Coe nous propose plutôt une plongée dans la vie ordinaire de gens ordinaires et en profite pour dresser un portrait de son pays au cours de chacune de ces décennies.

 

Bienvenue au club

Est-ce dévoiler toute la noirceur de mon âme si j’avoue avoir « profité » du confinement n°1 pour me jeter sur cette lecture ? En tout cas, suivre les mésaventures lycéennes de Benjamin et ses potes a été pour moi un vrai ravissement, une bouffée d’air qui me décollait de mon « ENT » - environnement numérique de travail dans le jargon de l’éducation nationale (ou plus concrètement, « application qui rame dès lors qu’on en a besoin »).

L’intrigue de ce 1er tome se déroule dans les années 70. Benjamin et ses copains Philip et Doug, comme bon nombre de lycéens, sont principalement préoccupés d’eux-mêmes et des meufs qui les entourent. Ils s’occupent aussi du journal de leur lycée dans lequel ils racontent des trucs hyper importants.

Benjamin est passionné de musique et d’écriture et passe déjà pour un type un peu bizarre, rêveur, artiste sur les bords, mais qu’on aime bien quand même. Outre son ambition de devenir un grand écrivain, il rêve aussi de vivre un amour passionné avec Cicely, qui n’est autre que la plus belle fille du lycée. A force de tentatives d’approches plus ou moins habiles, Cicely le prend finalement sous son aile, en gentil confident inoffensif et bien mignon.

Une révélation divine due à un maillot de bain détrempé, les blagues méga drôles d’un certain Harding, l’histoire d’amour tragique de sa sœur Loïs, les violences dues aux tensions en Irlande du Nord et la lutte syndicale dans l’usine… tout ça tourne autour de Benjamin et plante un décor bien dense à sa maigre existence.

J’ai beaucoup aimé cette entrée en matière, d’une part parce que le roman se termine contre toute attente en apothéose pour Benjamin, et aussi parce que j’adore les histoires de lycéens - qui sont ici plus que crédibles. Démonstration avec ce petit morceau choisi - alors qu’ils sont partis en rando et se sont paumés, Philip et Benjamin croisent deux filles du lycée qui les chambrent doucement puis repartent :

La quiétude bucolique demeura inviolée pendant de longues minutes, lorsque, enfin, Philip demanda :

« Ça t’arrive souvent de penser à des filles déshabillées ? »

Benjamin soupesa la question avec toute la solennité requise. « Très souvent, dit-il. Tout le temps, même. » 

jonathan-coeLe cercle fermé

Dans ce 2e tome, on retrouve Philip, Doug et Benjamin à l’âge du gras du bide qui s’installe, 20 ans plus tard. On voit comment chacun a négocié avec plus ou moins de succès avec ses rêves de jeunesse, parce qu’en même temps, au bout d’un moment il faut bien bouffer…

Tandis que son petit con de frère est devenu un grand

con aux dents qui rayent le parquet, Benjamin lui, reste englué dans son passé de lycéen qui lui colle pathétiquement à la peau. Il continue à écrire ce qui devient un pavé plus qu’indigeste et est tourmenté par la silhouette d’une certaine Malvina.

On peut dire qu’ici, il prend vraiment cher : l’auteur lui donne claque sur claque… Parfois c’est vrai qu’il l’a bien cherché ; de temps en temps, on aurait envie de le secouer pour lui dire de se réveiller ; souvent, on se foutrait bien un peu de sa gueule avec ses copains ; mais à d’autres moments on a mal pour lui et on voudrait le prendre dans ses bras pour lui dire que ça va aller, d’autant qu’il semble toujours se relever le visage déconfit en disant « nan mais ça va en fait ».

Bref, la loose s’installe bien profond, et c’est pour ça que j’ai adoré ce tome. De plus, le petit revirement de situation à la fin nous console un peu des peines de cœur de Benjamin…

 

Le cœur de l’Angleterre

Dans ce 3e et dernier tome, la cinquantaine et sa sérénité grisonnante ont débarqué. Philip mène sa petite barque tranquillement, Doug comprend qu’il a enfanté une furie encore plus à gauche que lui, tout en se tapant une députée conservatrice, et Benjamin se complait en contemplateur de la vie, à l’écoute de la rivière qui file des jours heureux au pied de son moulin. En parallèle, l’auteur nous mène dans les pas de Sophie, la nièce de Benjamin, au cœur de ses contrariétés professionnelles et amoureuses. Mais aussi et surtout, il tente de nous faire comprendre pourquoi et comment l’Angleterre en est arrivée à voter le Brexit – et on se dit que, finalement, y’a pas que chez nous que c’est le bordel…

Jonathan Coe satisfait enfin partiellement les ambitions littéraires de notre cher Benjamin, non sans lui envoyer encore quelques petites pichenettes à la face. Alors qu’encouragé par son entourage, Benjamin rêve, confiant en l’avenir, d’écrire un 2e roman quand l’inspiration se présentera, on se demande s’il n’est pas resté l’ado rêveur qu’on a rencontré 1500 pages plus tôt. On peut toutefois se dire qu’il a gagné en capacité à encaisser, car il reste stoïque (ou trop bourré pour réagir) lorsque le 1er élève de l’atelier d’écriture qu’il lance avec sa sœur dresse un portrait sans appel de sa vie :

Ce que je trouve le plus émouvant dans le livre de votre frère, dit Alexandre en s’exprimant avec soin, c’est qu’il traduit le désert d’une vie entièrement construite sur l’échec. Pour moi, c’est l’histoire d’un homme qui a échoué dans tous les domaines […]. C’est une vie dépourvue de la moindre réussite, la moindre connaissance de soi, et donc, en fin de compte, du moindre espoir.

Ben ouais, Benjamin c’est pas Greg le millionnaire – mais il est à l’ouest, gentil, drôle souvent malgré lui, et c’est peut-être pour ça qu’on l’aime !

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