C’est un peu la question du moment – quoique partiellement éclipsée ces jours-ci par l’inquiétude de savoir si l’on sera rouges ou verts le 11 mai prochain : le monde va-t-il changer ou allons-nous repartir de plus belle et foncer droit dans le mur avec le sourire ?

Premier éclairage sur la question avec Barjavel, de son prénom René, qui pourrait nous donner envie de nous jeter dans la Loire (mais fort heureusement les bords de Loire sont encore interdits d’accès pour quelques jours).

La science-fiction est l’une des autres sphères où je ne venais jusqu’alors pas zoner… Pourtant, depuis le lycée, Le grand secret faisait partie des livres que j’avais l’intention de lire, un jour… et que je n’ai toujours pas lu d’ailleurs.

Non, c’est sur Ravage que j’avais jeté mon dévolu à l’automne dernier, calée sur mon canap’ et planquée sous mon plaid, sur fond de pluie tambourinant sur mon velux… et là, révélation : ce roman écrit en 1943 nous décrirait presque nous, petits occidentaux de 2020, et présenterait la pire des prophéties sur ce jour d’après sur lequel tout le monde déblatère. Attention, spoil total du roman !

Paris, 2052…

Les petits paysans de province sont devenus bien has been dans cette société où tout fonctionne à l’électricité et où cette fabuleuse matière qu’est le plastec chante la gloire du progrès. La chaleur est étouffante, la nourriture artificielle pousse dans des usines et lorsque l’on téléphone à quelqu’un, on peut voir son image apparaître devant soi (il faut le reconnaître, le précurseur des apéros virtuels, c’est lui)…

Mais voilà qu’une panne de courant survient et paralyse la ville tout entière : se nourrir, se déplacer, plus rien n’est possible. Les morts conservés dans des frigos géants pourrissent et le choléra se répand, promettant quelques scènes un peu gores pour lecteurs sensibles. Les réservoirs d’essence flambent et les incendies font rage.

Jérôme Seita, le petit péteux de radio-300 ne survit que quelques heures. La jeune et belle (et pas très futée) Blanche s’en remet à François, son bon ami d’enfance pas très beau mais qui, lui, gère en situation de crise. Dehors, c’est la loi de la jungle.

François parvient à monter sa petite équipe et à sortir de la ville, au prix d’actes pas très catholiques mais nécessaires. Direction chez maman ! Le voyage sera loin d’être de tout repos : ils devront affronter les incendies qui se propagent dans toute la France, vivre la faim et la soif et c’est complètement décharnés qu’ils arriveront à bon port.

De petit bouzeux méprisé à Paris, François deviendra le grand patriarche d’une société nouvelle, basée sur la paysannerie.

La sobriété heureuse ?

Sobriété oui, mais « heureuse », ça dépend pour qui… Nan mais parce qu’on n’est pas chez les hippies, là… Et si Barjavel avait anticipé moultes inventions plus ingénieuses les unes que les autres et qui font la joie de notre quotidien, la découverte du fait que les femmes étaient autre chose qu’un utérus n’était pas encore survenue.

En bon gestionnaire, François fait le compte : il faut repeupler le monde, et les meufs, vous êtes plus nombreuses que les mecs ; on ne va donc pas laisser tant d’utérus vacants. Chaque mec aura plusieurs femmes – et les filles moches de se réjouir d’avoir elles aussi leur part du gâteau.

Et c’est vrai que dans le roman, faire naître des « mâles », c’est quand même vachement mieux que d’enfanter des filles.

Et s’il avait tout prévu ?

Susceptibilité féminine mise de côté, et couvercle mis sur la dimension ultra-conservatrice du dénouement, on est quand même soufflé par l’œil visionnaire de Barjavel…

Il faut dire que lire le périple de François et ses potes à travers la France en flammes, alors que l’Australie flambait de l’autre côté du globe, ça m’a fait son petit effet…

Et la toute fin du roman m’a tout bonnement fait pousser des couinements d’excitation littéraire : quelques 228 enfants plus tard, le vieux François croulant mais toujours respecté reçoit les honneurs d’un malheureux qui aurait mieux fait de se contenter de cultiver son jardin à la binette. Ce jeune homme lui amène fièrement une machine de son invention, qui permet de réduire les efforts des hommes au travail (ou quand le tracteur renaît). Mais le vieux, au lieu de le féliciter, devient furax de chez furax :

« - Insensé ! crie le vieillard. Le cataclysme qui faillit faire périr le monde est-il déjà si lointain qu’un homme de ton âge ait pu en oublier la leçon ? Ne sais-tu pas, ne vous l’ai-je pas appris à tous, que les hommes se perdirent justement parce qu’ils avaient voulu épargner leur peine ? Ils avaient fabriqué mille et mille et mille sortes de machines. Chacune d’elles remplaçait un de leurs gestes, un de leurs efforts. Elles travaillaient, marchaient, regardaient, écoutaient pour eux. Ils ne savaient plus se servir de leurs mains. Ils ne savaient plus faire effort, plus voir, plus entendre. »

Après avoir anticipé tant de choses (la chaleur, les incendies, l’hyper-dépendance aux énergies, la rupture avec dame nature, la nourriture artificielle…), Barjavel avait-il perçu l’essence-même de la nature humaine ? Et si notre destin était de toujours chercher ce qu’on appelle le progrès et de nous mener tranquillement et inexorablement droit dans le mur ?

Vous avez envie de vous flinguer ? Attendez juste un peu avant de vous rouler par terre en criant qu’on va tous crever : très bientôt, je vous parlerai de Cyril Dion et de son livre antidote à l’éco-dépression !

Juste la fin du monde ?

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